L’Oiseau rare de Guadalupe Nettel
Cela faisait longtemps que je ne m’étais plus lancée dans un roman à l’aveugle, sans connaître son auteur·ice ou avoir lu/entendu des avis à son sujet. Et ce fut une très bonne expérience que cette découverte de L’Oiseau rare de Guadalupe Nettel, autrice mexicaine qui connaît visiblement un grand succès dans le monde hispanophone mais qui est très peu connue dans le monde francophone, j’ai l’impression.
Résumé
Laura et Alina ont la trentaine et sont amies depuis leurs études supérieures. L’un des éléments qui les a rapprochées : le fait qu’aucune d’elle ne souhaite enfanter. Alors, lorsqu’Alina annonce à Laura qu’elle a entamé un processus pour tomber enceinte, le monde de cette dernière vacille. Mais rapidement, la vie la force à se remettre sur pieds car son amie a grandement besoin d’elle.
Dans le même temps, Laura rencontre Nico, le petit garçon qui vit dans l’appartement voisin du sien. Celui-ci est sujet à de terribles colères qui font trembler les murs. Laura n’aime pas particulièrement les enfants et s’en tient généralement écarte. Pourtant, la situation de Nico l’émeut et elle va le prendre sous son aile. A travers les expériences de cette jeune femme, l’autrice questionne la définition de la maternité et les différentes manières de faire famille.
Ce que j’en ai pensé ?!
Dès les premières lignes, je me suis identifiée à Laura tant ses pensées sont similaires à celles qui me traversent régulièrement l’esprit. C’est rare et assez déstabilisant [j’avais presque l’impression que l’autrice était dans ma tête] mais c’est aussi ce qui m’a fait accrocher directement à cette histoire.
L’amie sur laquelle j’avais toujours pu compter allait cesser d’exister, et moi, j’étais là, de l’autre côté du combiné, à la féliciter pour cela ? Il faut admettre que l’entendre si heureuse avait quelque chose de contagieux. J’avais certes milité toute ma vie pour sauver mon genre d’un tel fardeau mais j’avais décidé de ne pas lutter contre cette joie.
L’autrice nous raconte deux années de la vie de ces deux amies, alternant les chapitres consacrés à Laura et ceux concernant Alina. Néanmoins, toute la narration se fait à la première personne du singulier, du point de vue de Laura : comme si elle nous racontait leur histoire. Le rythme est assez particulier : alors qu’on pourrait croire que les événements d’un chapitre à l’autre se passent simultanément dans la vie de chacune, on s’aperçoit que les deux temporalités ne concordent pas toujours. Parfois, il se passe quelques heures dans la vie de l’une quand on passe plusieurs jours avec l’autre. Cela m’a gênée à plusieurs reprises car j’avais l’impression d’être face à des “anomalies” du texte et cela m’a plusieurs fois fait sortir de ma lecture. Mais, d’un côté, c’était tellement flagrant qu’à la deuxième, je me suis dit que cela devait être voulu.
A travers la vie de ses héroïnes, Guadalupe Nettel aborde de nombreuses thématiques qui touchent à la vie quotidienne des femmes et aux violences qu’elles subissent : l’envie ou non d’avoir des enfants, les réactions que nos choix peuvent provoquer chez nos proches, l’accompagnement du corps médical et les inégalités dans l’accès aux soins au Mexique, les violences conjugales et leurs conséquences sur la vie des enfants qui en sont témoins, les féminicides [très fréquents au Mexique], etc. Ce sont des sujets difficiles et lourds qu’elle parvient pourtant à distiller à travers le récit de manière juste et conforme à notre réalité quotidienne.
A ces mots, un sourire ironique a dû s’insinuer sur les lèvres de mon amie. Aucune femme qui rentre à la maison après avoir accouché de son premier enfant ne reprend sa vie d’avant, encore moins dans ces circonstances. La maternité change l’existence pour toujours. Il était évident que ce jeune neurologue n’avait pas la moindre idée de ce qu’il était en train de dire.
Les relations mères-filles sont également largement traitées par l’autrice à travers plusieurs duos d’âges très différents. Là encore, je l’ai trouvée très juste et nuancée, notamment dans la relation entre Laura et sa propre mère.
Et enfin, ce roman est un véritable appel à la sororité qui prend une place importante dans les interactions qui sont présentées. C’est même la clé de nombreuses situations.
L’Oiseau rare m’a véritablement fait passer par des montagnes russes émotionnelles auxquelles je ne m’attendais pas : le début du roman était presque drôle. Donc même si j’en suis ressortie avec le cœur réchauffé par la beauté des relations qui se tissent entre toutes ces femmes, je vous conseille de choisir le bon moment pour le lire.
Par contre, je ne conseillerais pas sa lecture à de toutes jeunes mamans ou à des femmes enceintes, ni à des femmes qui ont vécu un deuil périnatal [ce n’est pas forcément le sujet ici, mais on s’en approche]. En effet, sous la douceur évoquée par la couverture et ses tons bleu-vert, le titre ou encore l’ambiance doucement ironique des premières pages se cachent des événements particulièrement douloureux qui pourraient les heurter. [Maintenant je préviens car j’ai déjà traumatisé l’une ou l’autre copine en proie à leurs hormones avec mes recommandations de lecture :D]
De mon côté, je compte m’intéresser de plus près à l’œuvre de Guadalupe Nettel ainsi qu’au catalogue des éditions Dalva car cette première rencontre avec L’Oiseau rare m’a donné envie de les revoir.
Infos pratiques
- Titre : L’Oiseau rare (VO : La hija única)
- Autrice : Guadalupe Nettel
- Traductrice : Joséphine de Wispelaere
- Édition : Dalva, 2022
- Nombre de pages : 285 pages
- Genre : contemporain
- Reçu dans le cadre de la Masse critique de Babelio
Vous connaissiez cette autrice ?!
12 commentaires
mespagesversicolores
Je l’ai croisé hier à Tropismes mais je n’avais pas encore lu ton avis.. Je pense que je l’aurai acheté
Tu imagines bien en quoi ça pourrait me plaire: l’amitié, les grossesses des amies.
Je ne connaissais pas non plus cette autrice. Faut dire que je ne suis pas très branchée littérature sud-américaine. Un tort.
Maghily
Oui, je comprends très bien 😉
Je peux te prêter celui-ci si tu le souhaites (je comptais te le proposer hier, si on s’était vues, car je me doutais que le sujet te taperait dans l’œil).
Je ne m’y intéresse pas suffisamment non plus mais jusqu’à présent, j’ai bien aimé mes découvertes.
De manière générale, je trouve qu’on entend assez peu parler des auteurs et autrices hispanophones contemporaines (à part quelques grands noms).
mespagesversicolores
Tu peux me le préparer pour la prochaine fois qu’on se voit !
Maghily
ça marche ! 🙂
kathel
C’est Fanny qui vient de me signaler ton billet, très complet d’ailleurs. Ma chronique est plus brève, mais j’ai beaucoup aimé ce point de vue mexicain sur un sujet universel.
Maghily
Merci pour ton passage par ici, je vais lire ton avis de ce pas 🙂
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Alice
J’aime beaucoup cette autrice, que nous avons eu la chance de faire venir à la médiathèque où je bosse il y a quelques années. Son recueil Pétales est assez marquant, La Vie de couple des poissons rouges aussi. Son roman Après l’hiver est très plaisant aussi. Bref, tu l’auras compris, je t’encourage grandement à continuer à la découvrir 🙂
Maghily
Merci pour toutes ces recommandations ! 🙂 Déjà, j’adore les titres des deux livres que tu mets en avant.
Quelle chance de l’avoir rencontrée dans ta médiathèque. Elle a l’air d’être une personne intéressante : je pense que je vais poursuivre ma découverte de son oeuvre.
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