Bakhita de Véronique Olmi
Dans le cadre du challenge “Reading for Freedom” organisé en octobre par FloandBooks, consacré au thème de l‘esclavage dans la littérature, j’avais décidé de lire Bakhita de Véronique Olmi. Il s’agit de la biographie romancée de mère Gioseffa Margherita Fortunata Maria Bakhita, décédée à Schio en 1947.
Résumé
Bakhita a 7 ans lorsqu’elle est enlevée par deux hommes alors qu’elle se promène avec une amie dans son village du Darfour : ceux-ci la vendent comme esclave. S’ensuit un long voyage à pieds pendant lequel elle se lie d’amitié avec une autre petite fille de son âge qui l’aidera à supporter les horreurs de sa nouvelle condition. Elles sont alors parquées dans un grand marché aux esclaves, en attendant de trouver leur maître. Nous la suivons, tout au long de son adolescence, au gré des ventes où elle passe de mains en mains jusqu’à la rencontre providentielle avec le consul d’Italie à Khartoum.
Ce que j’en ai pensé ?!
Des romans sur l’esclavages, j’en ai déjà lu quelques-uns ces dernières années : chaque fois, je suis sidérée par toutes les horreurs dont les êtres humains sont capables de s’infliger les uns aux autres. Cette fois encore, cela n’a pas loupé !
Bakhita n’est qu’une enfant au moment de sa capture mais très vite, elle semble prendre conscience de ce que signifie sa nouvelle condition d’esclave : elle n’est plus une personne, pas même une bête aux yeux de ces hommes qui la considèrent comme une vulgaire marchandise. Elle est également consciente que sa jeunesse et sa beauté augmentent sa valeur sur le marché mais que cela ne durera pas.
L’une des choses qui m’a le plus marquée dans ce roman, c’est le fait que, malgré l’abolition de l’esclavage, Bakhita ne retrouve pas sa liberté une fois qu’elle foule le sol européen. D’accord, ses nouveaux maîtres ne la battent plus quand bon leur semble, mais elle n’est toujours pas libre de décider de ce qu’elle veut faire de sa vie. Et l’époque qui est relatée n’est pas si lointaine. De notre point de vue européen, nous critiquons facilement ces Américains qui refusaient leurs droits élémentaires aux personnes de couleur dans les années 60 mais cela n’était guère plus reluisant de ce côté-ci de l’Atlantique !
J’ai aimé découvrir l’histoire de Bakhita au fil de ma lecture sans trop en savoir avant de commencer, trembler pour elle au fur et à mesure de ses pérégrinations, c’est la raison pour laquelle je ne souhaite pas trop développer l’intrigue de ce roman, en tant que telle.
Néanmoins, j’aimerais revenir sur un thème majeur de ce récit : la difficulté pour Bakhita de raconter son histoire, de s’exprimer auprès des personnes qu’elle rencontre. Plusieurs fois, la narratrice tente de rendre cette frustration qui semble avoir habité Bakhita tout au long de son existence : elle a perdu la connaissance de son dialecte d’origine, a dû s’adapter à l’arabe puis à différents dialectes d’Italie sans jamais maîtriser réellement aucune de ces langues… Or, elle souligne l’importance de pouvoir nommer les choses, les sentiments, afin qu’ils puissent prendre une réelle consistance et afin de pouvoir transmettre sa connaissance aux autres. Et cette difficulté à s’exprimer est également rendue à travers le ton du récit, qui peut sembler naïf, enfantin, malgré les informations horribles qui y sont énoncées.
Est-ce que ces souvenirs sont les siens ? Mais rien n’est vrai, que la façon dont on le traverse. Comment leur dire ça ? En vénitien ? En italien ? En latin ? Elle n’a aucune langue pour ça, pas même un mélange de dialectes africains et d’arabe. Parce que ce n’est pas dans les mots. Il y a ce que l’on vit et ce que l’on est. A l’intérieur de soi. C’est tout.
Enfin, la question du corps, de la perte d’appartenance à celui-ci lorsque l’on devient esclave est très prégnante dans ce récit. Et c’est d’autant plus frappant au moment où Bakhita peut en reprendre possession, une fois au service du consul.
Au-dessus de la tunique blanche ne ressortait que le noir de son visage, comme sculpté à la lumière et miraculeusement non scarifié. Toutes les marques d’infamies étaient cachées, la tunique était comme un voile de pudeur et pour la première fois depuis son enlèvement, elle a ressenti qu’il y avait quelque chose qui n’appartenait qu’à elle. Son corps, objet de profit et de tant de violences, lui était rendu, dissimulé aux autres il devenait un secret. Son secret. Le premier.
Vous l’aurez compris, ce roman est dur, bouleversant mais il est aussi merveilleusement bien écrit. Véronique Olmi dit craindre de ne pas rendre un hommage suffisant à Bakhita à travers cet ouvrage, de lui prêter des paroles qu’elle n’aurait pas souhaité voir écrites. Or, j’ai trouvé que ce récit était chargé de pudeur et de respect pour cette très belle personne qu’était Madre Bakhita. C’est un livre qui m’habitera encore longtemps et que je vous conseille, vraiment !
Infos pratiques
- Autrice : Véronique Olmi
- Titre : Bakhita
- Edition : Le Livre de Poche, 2019
- Nombre de pages : 473 pages
- Genre : roman historique
- Challenges :
- Feminibooks – Catégorie d’octobre, lire une histoire de sorcière
- Reading for Freedom de Flo and Books
- Un Pavé par mois chez Bianca
3 commentaires
mespagesversicolores
Comme tu le dis, c’est un livre qui habite encore le lecteur après avoir tourné la dernière page. Il m’a profondément marquée.
Maghily
Je me souviens que ta chronique m’avait confirmé qu’il fallait que je lise ce roman un jour. 🙂
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