Lecture

Rouge impératrice de Léonora Miano

Léonora Miano a été l’une de mes plus belles découvertes de cette année 2019, avec La Saison de l’ombre. Dès lors, quand j’ai vu que Rouge impératrice était disponible via Netgalley, je me suis précipitée pour demander une épreuve numérique.

Résumé

Nous sommes au Katiopa, les États d’Afrique unifiés, en 2124 (de notre ère). Ilunga en est le Chef d’État (mokonzi) depuis 5 ans et s’échine, chaque jour, à faire prospérer cette nouvelle nation sur une planète Terre dont la géopolitique a été complètement bouleversée par les guerres nucléaires. Sa vie bascule le jour où il croise la route de Boya, une universitaire qui travaille sur les populations marginales qui habitent Katiopa. Et si Boya était la clé pour qu’il parvienne à créer la société dont il rêve ?! Une chose est sûre, certains vont tout faire pour les séparer…

Ce que j’en ai pensé ?!

Rouge impératrice est d’abord une histoire d’amour entre deux quarantenaires dont les chemins ne pouvaient faire autrement que de se croiser. Dans cette histoire, il est question d’âmes sœurs et de puissances spirituelles qui dépassent notre seule présence terrestre.

Boya et Ilunga vont devoir apprendre à s’apprivoiser dans cette vie, à faire des concessions pour que leurs vies professionnelles, amoureuses et personnelles puissent se concilier au mieux.

Jusque là, elle n’avait pas permis que son quotidien soit trop modifié. C’était toujours aux femmes d’abandonner ce qui leur tenait à cœur afin de prendre place dans l’univers de l’homme qu’elles pourraient peut-être un peu colorer. Bien qu’obscurément, c’était aussi par réticence à épouser ce schéma d’antique soumission qu’elle avait tout fait pour préserver ses habitudes.

A travers Boya, Léonora Miano nous propose une héroïne qui sait exprimer ses envies et ses besoins, notamment sur les plans sexuels et sentimentaux. Avant de rencontrer Ilunga, c’était une femme libre, ayant choisi de vivre seule et qui n’hésitait pas à choisir ses amants lorsqu’elle avait envie ou besoin d’évacuer certaines tensions. C’est également une femme intelligente, impliquée dans la vie sociale et politique de son pays, qui ne craint pas de se battre pour faire valoir ce qui lui semble juste.

La spiritualité a aussi une grande place dans la vie de nos personnages, que ce soit à travers la voix des ancêtres ou des forces sacrées du féminin.

Mais Rouge impératrice n’est pas qu’une romance. C’est également un roman futuriste dans lequel l’autrice développe un nouveau modèle de société. Elle offre au continent africain la vision d’un futur dans lequel il aura repris ses droits tant sur ses richesses terrestres que sur l’avenir de ses citoyens.

La question du racisme est d’ailleurs abordée d’une manière très intéressante. Parmi la population du Katiopa se trouve un groupe de marginaux, appelés Les Sinistrés. Ce sont des blancs, venus d’Europe [et plus précisément de France, si je lis bien entre les lignes], qui ont fui leur pays car celui-ci était, à leurs yeux, envahi par la vermine. Ils ont alors, paradoxalement, cherché à rejoindre l’Afrique où certains États étaient encore prêts à les accueillir avec le respect dû à leur rang. Cependant, les changements politiques ont fait qu’ils ont été dépouillés des terres et des biens qu’ils avaient eux-mêmes spoliés aux autochtones. Ne voulant pas mélanger leurs précieux gènes et culture à ceux des Katiopiens, ils se trouvent isolés et démunis. On voit alors apparaître une inversion du discours raciste par rapport à ce que nous sommes habitués à entendre aujourd’hui, dans nos pays : ce sont ces Sinistrés qui sont considérés comme des êtres inférieurs, qui n’ont pas su évoluer et que la population tend à rapprocher à des parasites. Elle ne s’est pour l’instant pas pour autant abaissé à les exploiter, comme ils avaient pu le faire en leur temps. La question de savoir comment gérer “le problème Sinistrés” occupe une grande place dans le roman. C’est susceptible d’amener les lecteurs et lectrices à réfléchir sur leurs propres considérations face à ce qu’ils estiment leur être étranger. Cela m’a pas mal remuée et je pense que c’est un roman qui peut ouvrir au débat.

Igazi se représentait la chose avec horreur. D’abord, des ribambelles de petits sangs-mêlés auxquels on n’aurait pas le cœur de refuser l’accès à l’école. […] Ils militeraient pour que leurs explorateurs et médecins coloniaux soient honorés par des plaques, […] pour que l’on se souvienne des effets positifs de la mission civilisatrice, des liens insécables qui s’étaient noués à travers elle. On ignorait jusqu’où cela pourrait aller.

L’autrice place également la question du respect de l’environnement au cœur de son récit, notamment, dans la manière dont la société s’organise [suppression des transports individuels, pour ne citer qu’un exemple].

Enfin, ce qui peut dérouter mais fait toute la beauté et la force de ce roman, c’est le fait que Léonora Miano intègre énormément de vocabulaire provenant de la langue camerounaise. C’était déjà le cas dans La Saison de l’ombre mais c’est encore plus présent dans Rouge impératrice et cela nous aide vraiment à nous immerger dans le futur qu’elle nous propose.

Vous l’aurez compris, j’ai été véritablement conquise par ma lecture. Celle-ci fut dense : le roman ne se laisse pas dévorer mais demande que l’on prenne le temps de l’assimiler. Je pense d’ailleurs m’en procurer une version au format papier pour le relire et m’arrêter plus attentivement sur certains passages qui demandaient réflexion.

Si vous aimez les romans qui font réfléchir, écrits dans une langue travaillée et poétique, vous ne pourrez qu’adorer Rouge impératrice !

Infos pratiques

  • Titre : Rouge impératrice
  • Autrice : Léonora Miano
  • Édition : Grasset, 2019
  • Nombre de pages : 608 pages
  • Genre : dystopie
  • Challenges : ce roman me permet de valider mon pavé du mois chez Bianca pour septembre.

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