Le puits de solitude
Lecture

Le Puits de solitude de Marguerite Radclyffe Hall

Pour ce mois de janvier, Fanny et Moka nous proposaient de lire les gros·ses dégueulasses de la littérature classique. Entendez par là, les auteurs et autrices qui ont provoqué le scandale, que ce soit par leurs œuvres ou par la manière dont ils et elles vivaient leur vie. Le premier bon gros dégueulasse qui m’est venu à l’esprit quand j’ai vu ce thème, c’était Céline [parce que lui, c’en est un bon gros pour du vrai !] mais j’avais tellement détesté le lire pendant mes études de romanes qu’il était hors de question que je retente l’expérience. Puis, au détour de mes rencontres littéraires, m’est venue l’idée de lire Le Puits de solitude de Marguerite Radclyffe Hall car j’ai appris que malgré son succès littéraire antérieur, la publication de ce roman a provoqué un si grand scandale que l’autrice s’est ensuite retirée de la vie publique. Ce roman a été interdit à la vente, en Angleterre, jusque dans les années 1960 mais a connu dès sa parution (1928) un franc succès aux USA et en France, notamment. Alors, je vous rassure, à mes yeux, elle n’est pas dégueulasse mais j’ai pris le point de vue de ses contemporain·es [je préfère préciser pour la team 1er degré].

Résumé

Stephen est l’enfant unique d’un couple d’aristocrates anglais très riches et amoureux qui désiraient ardemment un garçon. Est-ce désir, reflété par le prénom qu’ils ont conservé malgré tout, qui a déteint inconsciemment sur leur fille ?! Toujours est-il que celle-ci se rêve en garçon et détonne dans cette société anglaise qui se soucie encore beaucoup des conventions. Une fois adulte, Stephen se voit contrainte de quitter sa campagne anglaise pour pouvoir vivre sa vie comme elle l’entend.

Ce que j’en ai pensé ?!

Quand j’ai commencé Le Puits de solitude, j’avais l’impression qu’il avait été écrit et se déroulait bien plus tôt que le début du XXe tant la société anglaise décrite entre ses lignes me semblait arriérée ! L’histoire débute avec la rencontre des parents de Stephen et leur attente d’un enfant qui a tardé à venir. Déjà à ce moment-là, le parti pris par l’autrice m’a quelque peu dérangée : l’idée que ses parents aient tellement voulu d’un garçon que cela apparaisse comme une sorte de faute originelle qui aurait mené au dérèglement de cette petite fille et donc, à sa perte.

On la jugeait singulière, ce qui, dans ce milieu, équivalait à une réprobation. Troublée, malheureuse, comme un tout petit enfant, cette large créature musclée se sentait seule, elle n’avait pas encore appris cette dure leçon : elle n’avait pas encore appris que la place la plus solitaire en ce monde est réservée aux sans-patrie du sexe.

Ce qui frappe, tout au long de cette lecture, c’est cette sorte de dégoût d’elle-même que l’autrice semble ressentir et laisse transparaître dans la manière dont elle parle de Stephen et des autres “inverti·es” que celle-ci fréquente. Si je ne savais pas que l’autrice était elle-même lesbienne, j’aurais pu croire qu’il s’agissait ici d’un texte dénonciateur de leur existence. Tous les clichés y sont rassemblés, les relations entre les femmes sont très hétéro-normées avec chaque fois ce besoin dans les couples de recréer une sorte de domination masculine de l’une sur l’autre, décrite comme faible et féminine. Dès lors, j’ai du mal à comprendre que ce texte ait tant fait scandale [clairement, ce n’est pas une ode au lesbianisme, ça aurait plutôt tendance à vous donner envie de vous en détourner !]. D’autant plus que les scènes d’amour restent toujours extrêmement chastes : tout au plus, les protagonistes s’embrassent et se tiennent dans les bras l’une de l’autre… Cela témoigne bien de la rigidité de l’époque ! Alors oui, l’autrice laisse entrevoir l’idée que Stephen, par l’écriture et son propre succès littéraire, va pouvoir changer l’image que la société a des “gens de sa nature” mais ce n’est pas ce qu’elle nous donne à lire, finalement.

Dans ce roman, l’autrice nous dépeint toutes les difficultés auxquelles se trouve confrontée une jeune femme [certes, très riche, ce qui facilite grandement les choses, il faut l’avouer] qui souhaite vivre de manière indépendante, loin de la coupe d’un homme.

Le rythme du roman est assez lent et la lecture m’est devenue, par moments, très ennuyeuse alors que j’étais initialement enthousiaste. L’autrice écrit des phrases très longues, pleines de circonvolutions. Elle peut parfois faire durer ses descriptions de personnages que l’on ne recroisera jamais et qui n’ont que peu d’intérêt dans le roman. Parfois, on dirait simplement qu’elle souhaite “combler” quelque chose.

J’ai aimé l’importance que l’autrice donne aux non-dits : c’est souvent la cause de bien des drames dans ce roman. Car, dans sa jeunesse, celles et ceux qui aimaient Stephen et avaient compris son “inversion” lui ont caché cette réalité et ont feint de ne pas la voir, ne l’aidant pas à répondre aux nombreuses questions qu’elle se posait. Aurait-elle évolué plus sereinement si son père lui avait expliqué ce qu’il savait ?

Le Puits de solitude est donc une lecture intéressante pour sa place dans la littérature lesbienne et pour la photographie qu’elle nous offre de son époque mais si ce roman ne vous attire que d’un point de vue purement littéraire, je ne suis pas sûre que l’engagement qu’il demande vaille le coup.

Infos pratiques

  • Titre : Le Puits de solitude (The Well of Loneliness, 1928)
  • Autrice : Marguerite Radclyffe Hall
  • Traducteur : Léo Lack
  • Édition : Gallimard, L’Imaginaire, 2005
  • Nombre de pages : 574 pages
  • Genre : classique

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