Un désir démesuré d'amitié
Culture

Un désir démesuré d’amitié d’Hélène Giannecchini

C’est drôle, parfois, la manière dont certains livres parviennent jusqu’à nous avec une sorte d’urgence à les lire… Dimanche dernier, par hasard, j’ai écouté le Book Club de France Culture dans lequel était invitée Hélène Giannecchini. L’après-midi même, je tombais sur ce livre dans le rayon “nouveautés” de la bouquinerie.Si ça, c’était pas un signe ?! Et me voici, une semaine plus tard, tâchant péniblement de poser les mots sur Un désir démesuré d’amitié.

“Je crois que ce sentiment a un rôle particulier dans l’existence des personnes qui sortent de la norme, dont les désirs ne sont pas majoritaires et qui inventent d’autres manières de vivre et de se lier. L’amitié nous sauve. Elle est un principe fondateur et une protection.

C’est un ouvrage hybride, à la fois essai, témoignage et récit. L’autrice est spécialiste du lien entre texte et images. Elle travaille donc principalement à partir d’archives photographiques mais pas que. Elle s’appuie aussi sur des lettres, des textes théoriques, des objets comme des autocollants ou des flyers, etc. Toutes les images qu’elle découvre ne sont pas nécessairement légendées : les personnes qui y apparaissent restent parfois anonymes, les photos ne sont pas datées. L’autrice a alors choisi de leur reconstituer une histoire à partir des quelques éléments de contexte qui sont visibles sur les photos. Elle s’est donné cette autorisation pour répondre à une phrase de Monique Wittig issue des Guérillères : “Tu dis qu’il n’y a pas de mots pour décrire ce temps, tu dis qu’il n’existe pas. Mais souviens-toi. Fais un effort pour te souvenir. Ou à défaut, invente.

Dans Un désir démesuré d’amitié, l’autrice a voulu questionner la place de l’amitié dans les relations qu’entretiennent les personnes queers [oui, il était temps que je vous donne le sujet du bouquin…]. Ces amitiés peuvent prendre des formes diverses, peuvent être très courtes ou durer toute une vie, … Mais elles répondent toutes à un besoin relationnel particulier, lié à l’entraide, au soin, au soutien. Ce n’est pas qu’une amitié qui se joue dans la joie et dans la fête, c’est une amitié du quotidien.

Quand on lit Saint-Just, on découvre que l’amitié est plus qu’un sentiment : c’est un instrument révolutionnaire qui permet de construire une société idéale.

Pour cette communauté, l’amitié et la création d’une “famille choisie” a pris d’autant plus d’importance qu’elle a dû traverser l’épidémie de VIH/Sida dans les années 80-90. En effet, les malades ont souvent subi le rejet et la violence de la part de leur famille biologique et de la société, de manière générale. Iels ne pouvaient alors ne compter que sur leur ami·es pour les soigner, les soutenir et préserver leurs souvenirs après leur décès.

Pour l’écriture de ce livre, l’autrice s’appuie sur son expérience personnelle mais également sur le témoignage ou le travail de plusieurs artistes queers qui ont mis l’amitié au centre de leur vie. Elle s’attarde particulièrement sur la figure de Donna Gottschalk, une photographe lesbienne américaine née en 1949 et qui, toute sa vie, a photographié ses proches (famille, ami·es, amantes) dans leur vie quotidienne. Cela offre un terrain original et une quantité d’archives impressionnantes pour les recherches sur la communauté queer. Une expo est d’ailleurs en préparation à Paris pour juin 2025.

Le livre est parsemé d’autres témoignages et récits très touchants que je vous laisse découvrir. Une chose est sûre, il m’a donné une envie [voire deux] : prendre davantage de photos de mes amies [et de mes proches] au quotidien et, surtout, en faire de vrais albums. [Et trouver une maison dans la montagne pour faire une zone de repli].

En bonne hétéra qui refuse les injonctions au couple et à la famille nucléaire, je n’ai pu m’empêcher de faire des parallèles avec ce que je peux également ressentir… Car non, cultiver ses amitiés, ce n’est pas réservé aux lesbiennes, même si je comprends l’importance que cela revêt pour elles.

Je vous encourage donc à lire Un désir démesuré d’amitié. Et si vous voulez aller plus loin, vous pouvez écouter ces deux podcasts : Le Book Club et La 20e heure.

Infos pratiques

  • Titre : Un désir démesuré d’amitié
  • Autrice : Hélène Giannecchini
  • Édition : Seuil, 2024
  • Nombre de pages : 261 pages
  • Genre : Essai, témoignage, récit

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