Mais leurs yeux dardaient sur Dieu
Lecture

Mais leurs yeux dardaient sur Dieu de Zora Neale Hurston

C’est drôle comme, parfois, le hasard peut faire les choses quand il est question de littérature [bon d’accord, peut-être que les algorithmes jouent un léger rôle dans l’histoire aussi mais ça casse la magie]. J’ai découvert Mais leurs yeux dardaient sur Dieu de Zora Neale Hurston au détour d’une vidéo d’Amélia. Elle était tellement enthousiaste en parlant de ce livre et de cette autrice qui m’étaient totalement inconnus que je l’avais ajouté à ma [trop longue] liste à lire sur Goodreads. Puis, les semaines suivantes, tous deux se sont régulièrement rappelés à moi [par l’intermédiaire d’un reportage d’Arte apparu subitement sur ma page d’accueil Youtube ou de publications diverses]. Visiblement, il s’agissait d’un monument bien trop méconnu de la littérature américaine… Qu’est-ce que j’attendais donc, pour sauter dessus ?

Résumé

Eatonville, Floride. Janie réapparaît après avoir subitement disparu, quelques années plus tôt, abandonnant sa vie bien rangée pour suivre Tea Cake, un homme plus jeune qu’elle et, surtout, sans situation. Pourquoi revient-elle seule ? Qu’a-t-elle fait toutes ces années ? Lui a-t-il mangé tout son argent ? Ce sont les questions auxquelles la petite bande qui s’est réunie sous la véranda de son amie Phoeby aimerait obtenir des réponses. Alors, Phoeby est envoyée en mission pour recueillir l’histoire tumultueuse de cette pimbêche de Janie qui n’a même pas pris la peine de venir la leur raconter…

Ce que j’en ai pensé ?!

Ce roman m’a happée, bouleversée et pourtant, ce n’était pas gagné ! Sa particularité, qui lui a valu de nombreuses critiques à l’époque de sa sortie, tient dans l’utilisation de l’anglais vernaculaire noir américain dans tous les dialogues. Et autant vous dire que, lorsque vous n’y êtes pas habituée, il faut parfois s’accrocher car la syntaxe et le vocabulaire sont très différents de l’anglais “classique”. C’est d’ailleurs très imagé avec de nombreuses métaphores. Dans cette nouvelle traduction parue chez Zulma en 2018 [le livre date de 1937] Sika Fakambi s’est efforcée de rendre le mieux possible les particularités de cette langue vernaculaire en français et cela n’a pas dû être un exercice facile ! Il m’a donc fallu un certain temps d’adaptation pour entrer dans ce roman et apprécier ma lecture [oui, j’enchaîne les lectures qui me donnent du fil à retordre – et ce n’est pas leur seul point commun].

” Moi je sais ça que tous les assis-à-parlailler là-cas y vont aller se mettre les boyaux à tortiller à s’en faire de la corde à violon jusqu’à tant tant qu’y vont connaître les choses qu’on s’est parlées ici. C’est pas grave, Phoeby, dis-leur. Vont se faire de l’admiration vu que mon amour a pas tourné comme leur amour à eux, si tant qu’y ont jamais eu un amour.”

Ce qui m’a donné envie de m’accrocher [outre, l’avis enthousiaste de Zadie Smith sur la 4e de couv], c’est évidemment Janie. Elle commence son récit par la période où elle était enfant, vivant dans l’arrière cour de la famille de blancs qui employaient sa grand-mère. L’esclavage a été aboli depuis peu et la grand-mère de Janie veut offrir le meilleur à cette enfant qui n’a plus d’autres parents car elle sait qu’une autre vie est possible, plus heureuse que celle de ses ancêtres. C’est elle qui, sans le vouloir, plante “cette” petite graine dans l’esprit de Janie. La jeune fille rêve d’amour et de liberté mais elle va mettre toute une vie avant de les rencontrer. Cela lui prendra trois mariages et autant d’existences très différentes les unes des autres. Je ne veux pas trop vous dire et je trouve que le résumé du roman, sur l’objet-livre en dit déjà de trop.

Par ce roman, l’autrice nous propose des personnages qui s’affranchissent de ce que la communauté blanche peut bien penser d’eux et qui construisent une société totalement indépendante. Néanmoins, cela n’empêche pas toute une série d’oppressions d’avoir lieu : mépris de classe, misogynie et j’en passe. Même le racisme refait son apparition puisque visiblement, pour certain·es, il y aurait des noir·es meilleur·es que d’autres. A travers Janie et ses voisin·es, l’autrice nous propose tout un panel de personnages qui sortent des clichés habituels. Elle s’interroge aussi, longuement, sur le rôle des femmes dans la société et la manière dont il est possible de faire couple [dans des mariages hétérosexuels]. J’ai trouvé cela très novateur pour l’époque.

La nature joue également un rôle important dans ce roman puisqu’elle est souvent à l’origine des changements de cap de Janie. Il y est notamment question de travail agricole, et de tout ce que cela implique, mais aussi d’ouragans. On y voit tout ce qu’elle peut avoir de merveilleux mais aussi de dévastateur.

J’ai beaucoup aimé les thèmes abordés dans ce roman. J’ai vibré pour Janie dans les derniers chapitres et je ne regrette aucunement d’avoir persévéré quand je butais sur les premiers chapitres. C’est une lecture dense, qui demande une certaine attention et implication de la part de ses lecteurs et lectrices mais je vous la conseille vivement si vous aimez cette littérature américaine à l’ambiance un peu lourde, à la Toni Morrison ou à la Jesmyn Ward.

Infos pratiques

  • Titre : Mais leurs yeux dardaient sur Dieu (Their Eyes Were Watching God, 1937)
  • Autrice : Zora Neale Hurston
  • Traductrice : Sika Fakambi
  • Édition : Zulma, 2018
  • Nombre de pages : 305 pages
  • Genre : drame

 

10 commentaires

Si vous souhaitez me laisser un petit mot...