Lecture

3 lectures pour le Black History Month 2020

En février, c’était le Black History Month, l’occasion idéale pour sortir de ma PAL les livres de talentueuses autrices afro-américaines qui racontent leur Histoire en roman ou en non-fiction.

Les Moissons funèbres de Jesmyn Ward

De cette autrice, j’ai beaucoup vu passer son dernier roman, Le Chant des revenants qui a été nominé au Man Booker Prize 2019 mais j’attendais qu’il sorte en version poche pour me le procurer [et j’ai vu qu’il était sorti tout récemment !]. Par contre, j’avais déniché Les Moissons funèbres, il y a quelques mois chez Pêle-Mêle…

Il s’agit d’un récit autobiographique dans lequel l’autrice se penche sur l’histoire de 5 jeunes hommes de son entourage, dont son frère, tous morts de façon violente au cours des années 2002 à 2005, sans que ces décès n’aient de liens entre eux.

L’autrice alterne un chapitre qui relate l’histoire de sa famille depuis la rencontre entre ses parents jusqu’à aujourd’hui avec un chapitre consacré à l’un de ces jeunes hommes.

Ce que je n’ai pas encore compris, c’est que les mêmes pressions pèsent sur nous tous. Toute la communauté souffre d’un déficit de confiance : nous ne pensons pas la société capable de nous offrir un minimum d’éducation, de sécurité, d’emplois décents et de justice. Et ce manque de confiance en la société qui nous entoure, en la culture dans laquelle nous baignons et qui nous rappelle sans cesse notre infériorité, nous amène à nous méfier de tout le monde.

Par l’intermédiaire de ce récit, Jesmyn Ward souhaite faire comprendre à quel point le racisme latent et institutionnalisé pèse sur la population noire du Mississipi, encore aujourd’hui. Comment, malgré leur envie de sortir de la pauvreté, ces jeunes finissent par sombrer dans le désespoir.

Ce livre est également un bel hommage à sa mère [et aux femmes afro-américaines de manière générale] qui s’est vue voit obligée de porter seule le poids des responsabilités d’une famille car son mari était absent.

C’est révoltant de voir comment survivent ces populations, les humiliations qu’elles doivent subir et le peu de moyens mis en place pour les aider à sortir du cercle vicieux dans lequel elles sont enfermées.

Maintenant, j’ai hâte de découvrir ses œuvres de fiction et je pense que Les Moissons funèbres m’auront donné les clés pour mieux les appréhender.

Les Moissons funèbres,10/18, 2019, traduit par Frédérique Pressman, 286 pages

L’œil le plus bleu de Toni Morrison

L’œil le plus bleu est le deuxième livre de Toni Morrison que je lis, mais le premier qu’elle a écrit.

Dans ce roman, nous suivons trois petites filles noires : Claudia, Frieda et Pecola. Les deux premières sont sœurs et, même si la vie en tant qu’enfants noires peut parfois être difficile dans la société américaine, elles vivent de manière assez protégée auprès d’une famille aimante et bienveillante. Ce qui n’est pas le cas de Pecola…

Il s’agit d’un roman extrêmement dur dans lequel il est question de violences conjugales, de maltraitance et d’inceste [je ne vous divulgâche rien, on l’apprend dès la troisième page]. A ne pas mettre entre toutes les mains, donc.

La structure du roman est assez particulière : tout d’abord, il est divisé en fonction des saisons et le récit, au présent est narré depuis le point de vue de Claudia. Mais, certains chapitres reviennent sur le passé des personnages qui entourent ces petites filles. Le récit se fait alors à la troisième personne du singulier. Ce n’est pas toujours évident de reconnaître de qui il est question.

Encore une fois, Toni Morrison témoigne du malheur que peut être le fait d’être noire dans la société américaine. Il y a d’ailleurs un passage révoltant qui trace, du point de vue de l’un des protagonistes, les différences entre noires et métisses.

Même s’il avait la peau claire, elle pouvait devenir grise. La séparation entre les métis et les Noirs n’était pas toujours évidente ; des signes subtils et dénonciateurs menaçaient de l’ébrécher, et il fallait constamment être vigilant.

A travers les histoires de certains personnages masculins, l’autrice met en lumière les conséquences tragiques qui découlent parfois d’une humiliation subie, d’un rejet ou du manque d’amour. Loin d’excuser les personnages, cela permet de comprendre certains mécanismes de domination et cela fait plutôt froid dans le dos.

Une lecture que je n’ai pas encore totalement digérée, qui m’a pas mal bouleversée et dont je ne suis pas certaine d’avoir compris tous les éléments. Je pense que cela pourrait être passionnant de suivre un cours de littérature sur les œuvres de Toni Morrison !

L’œil le plus bleu, 10/18, 2019, traduit par Jean Guiloineau, 237 pages

Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage de Maya Angelou

Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage est la première partie de l’autobiographie de Maya Angelou, qui couvre la période de son enfance à son entrée dans l’âge adulte.

La forme de cette autobiographie est plus classique que celle des Moissons funèbres puisque Maya Angelou retrace son histoire de manière très chronologique.

Elle aborde énormément la question de l’éducation, puisque nous la suivons durant tout sa scolarité, et dénonce, notamment, les différences dans les moyens accordés aux écoles de blanc⋅hes et aux écoles de noir⋅es ainsi que les différences au niveau des programmes de cours en tant que tels. Elle semble avoir pris conscience très jeune des limites qu’on souhaitait lui imposer en la cantonnant à l’apprentissage de métiers considérés comme subalternes alors qu’elle aurait souhaiter s’élever intellectuellement. Elle fait aussi énormément référence à son amour pour la lecture et la littérature, amour qui a été renforcé par l’influence d’une femme qui l’a aidée à traverser un événement particulièrement traumatisant grâce aux romans.

Dans ce livre, elle déclare aussi son amour pour certains membres de sa famille qui ont contribué à la faire devenir la femme qu’elle a été : sa grand-mère maternelle et sa propre mère, mais aussi son frère, dont elle était très proche.

Dans ses réflexions, notamment sur son physique, on retrouve des commentaires qui étaient également présents dans les deux autres livres présentés dans cet article : le fait qu’elle est laide, entre autres parce qu’elle est noire. Cette dénonciation de sa laideur est récurrente et fait peine à voir [d’autant plus que, d’après les photos que j’ai pu voir sur internet, c’était tout à fait faux]. On comprend à quel point le manque de représentations positives [que ce soit dans les livres qu’elle lit ou les films qu’elle voit] joue beaucoup sur son image d’elle-même. Les héroïnes sont toujours blanches, délicates, discrètes alors qu’elle est noire, peu féminine à ses yeux et très gauche. On retrouve le même complexe chez les héroïnes de Toni Morrison.

Quelle surprise pour eux quand, un jour, je me réveillerai de mon vilain rêve noir et que ma véritable chevelure, longue et blonde, remplacerait cette masse crépue que Momma refusait de me laisser défriser ! Mon regard bleu pâle les hypnotiserait.

C’était très intéressant à lire, très émouvant aussi car elle a vécu des moments très douloureux. Néanmoins, elle ne tombe pas dans le misérabilisme : elle jongle avec les images parfois très poétiques et une certaine touche d’humour piquant pour se raconter. Il y a aussi quelques moments plus lyriques voire presque hystériques qui rendent compte du côté excessif que peuvent prendre les pensées et les gestes d’une adolescente.

Je vous conseille vraiment cette autobiographie et j’ai bien envie d’en lire la suite ainsi que ses romans car sa plume est superbe !

Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage, Le Livre de Poche, 2018, traduit par Christiane Besse, 346 pages

Et vous, avez-vous participé au Black History Month ?!

 

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