l'Art de perdre - couverture
Lecture

L’Art de perdre d’Alice Zeniter

L’Art de perdre est un roman que je souhaitais le lire depuis sa sortie en grand format puis, comme d’habitude, j’ai trainé pour l’acquérir. Je pressentais qu’il allait beaucoup me plaire mais pas au point que je perde les mots pour vous en parler, ni au point de m’empêcher de profiter de mes lectures suivantes [j’en suis à plus d’une semaine de gueule de bois littéraire au moment où je vous écris].

Résumé

Naïma est une trentenaire française, employée dans une galerie d’art, dont le père est d’origine kabyle. A l’occasion d’une exposition consacrée à un artiste révolutionnaire algérien, elle se retrouve plongée dans l’Histoire de ce pays dont elle ne connaît finalement pas grand chose. Elle sent alors naître le besoin de remonter le fil de l’histoire de sa famille paternelle. Elle commence par l’entrée à l’age adulte d’Ali, son grand-père, en passant par la difficile intégration de son père, Hamid, jusqu’à sa propre naissance.

Ce que j’en ai pensé ?!

Tout d’abord, j’ai été surprise par cette lecture car je m’étais imaginé qu’on y suivrait trois générations de femmes. Or, ce n’est pas tout à fait le cas : le roman commence et se termine avec la figure de Naïma, cette trentenaire qui vit à Paris, mais le récit s’attache essentiellement à deux protagonistes masculins : Ali et Hamid. Tous deux sont nés dans les montagnes de Kabylie et ont été contraints de quitter leur pays, devenu l’Algérie, en 1962.

Ce récit, par l’intermédiaire de ces deux hommes et de leur famille, retrace tout un pan de l’Histoire contemporaine de l’Algérie et s’intéresse plus particulièrement à une population dont j’avais assez peu entendu parler jusqu’alors : les “Harkis”.

Ce roman nous dévoile les ravages de la révolution algérienne dans les années 50-60 alors que les rebelles s’attaquent au pouvoir colonisateur. Mais dans cette rage pour retrouver leur liberté, ils n’ont aucune pitié pour celles et ceux qui refusent de les suivre corps et âmes. Ils sèment la terreur dans les villes et villages.

L’Art de perdre, c’est faire les choix qui nous semblent les plus justes, sur le moment, pour protéger celles et ceux que l’on aime. C’est devoir abandonner ses terres, son pays, ses valeurs pour éviter la mort. Et tenter de se reconstruire, dans une autre langue, dans une autre culture, à partir de rien. Et puis, après avoir affronté la mort pour avoir soutenu [ou du moins refusé de détruire] le colonisateur, c’est être confronté au racisme dans ce pays froid qui ne vous accepte qu’à contrecœur et cherche à vous faire prendre le moins de place possible.

Et dans cette simple annonce, il retrouve un peu de son aura de patriarche, de notable, un peu de la confiance qu’il avait avant, sur la crête. Aux yeux de Hamid, il semble à nouveau grandir dans le petit espace de la tente, redevenir homme montagne.

L’Art de perdre, c’est voir ses propres enfants se détourner car ils ont honte de vous, sans savoir réellement pourquoi. C’est voir le fossé du silence se creuser toujours plus entre deux générations qui ne se comprennent pas et qui refusent le dialogue.

C’est un roman sur la filiation, l’attachement ou non aux traditions, la quête d’identité, le rejet des origines, la peur, le manque et toutes ces choses qui ne se disent pas. C’est un roman sur les silences, aussi et surtout : ceux qui laissent aux autres le loisir de se faire leurs propres idées sur ce qui se cache derrière. Honte ou modestie ? Victime ou bourreau ?

– Qu’est-ce que tu perds à aller voir maintenant ?

Naïma ne peut pas répondre. Elle perdrait l’absence de l’Algérie peut-être, une absence autour de laquelle s’est construite sa famille depuis 1962. Il faudrait remplacer un pays perdu par un pays réel. C’est un bouleversement qui lui paraît énorme.

Et puis, en filigranes, il y a les réflexions sur la place des femmes dans cette histoire familiale : celles à qui personne ne demande leur avis mais qui n’en pensent pas moins. Celles qui tentent de maintenir la cohésion dans ces familles qui se délitent.

Le tout est porté par la plume sublime d’Alice Zeniter qui maîtrise à merveille l’art de la métaphore, nous offrant de magnifiques images teintées d’humour ou d’ironie douce-amère. Elle nous croque des personnages d’une belle complexité, joue avec les clichés pour les rendre crédibles, réalistes et attachants.

Je vous recommande vivement cette merveilleuse lecture ! Elle est bouleversante, passionnante parfois révoltante aussi. Elle aura très certainement sa place dans mon top des lectures de l’année 2020 !

Si je ne vous ai pas encore convaincu⋅es, voici l’avis de Fanny.

Infos pratiques

  • Autrice : Alice Zeniter
  • Titre : L’Art de perdre
  • Édition : J’ai Lu, 2019
  • Nombre de pages : 606 pages
  • Genre : saga familiale, contemporaine
  • Challenge : un pavé par mois de Bianca

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